INTERVIEW DE GUY MADDIN
réalisée par Alexandre Lecouffe (octobre 2009)
 

J’aurais tendance à définir votre œuvre comme une sorte d’alchimie qui mélangerait des éléments aussi divers que le conte de fée, la sexualité, l’inconscient, le rêve, le mélodrame et l’esprit du cinéma muet. Qu’est-ce qui est à l’origine de cet univers si particulier ?
 
- Dès mon premier film j’ai essayé de retranscrire l’esprit du Surréalisme, mouvement qui m’a marqué à vie que ce soit d’un point de vue littéraire ou cinématographique et j’ai donc fait miens des thèmes comme l’inconscient, le rêve ou l’Amour fou entre autres ; j’ai essayé de donner à mes films une structure peut être plus « disciplinée » (si on les compare à Un chien andalou par exemple !) et tout en travaillant sur des atmosphères surréalistes, oniriques, d’y ajouter un esprit nostalgique, mélancolique qui reflète ma personnalité profonde. Je suis à la base quelqu’un d’assez délirant, que ce soit dans mes rêves ou même lorsque je suis tout à fait éveillé et j’ai donc utilisé cet état d’esprit pour nourrir mon travail en espérant que certaines idées ou images soient des échantillons de ce que beaucoup d’entre nous ressentent de façon refoulée. S’il y a dans beaucoup de mes films des choses concernant l’amnésie ou les fantômes, peu d’éléments violents ou horrifiques en revanche car je ne fais pas vraiment de cauchemars…
 
N’y a t-il pas une sorte de paradoxe parfois entre l’atmosphère surréaliste/onirique que vous développez et la tonalité réaliste voire documentaire de certains de vos films, notamment dans votre dernier long métrage, Winnipeg, mon amour ?
 
- Oui, c’est vrai qu’il y a cet aspect un peu étrange dans mon dernier film ou dans My dad is 100 years old mais je pense qu’à chaque fois, mon approche du documentaire n’est pas très traditionnelle et que l’on peut plutôt parler de « docu-fantaisie ». Je pense qu’il s’agit encore d’une démarche « surréaliste » et que dans tous les cas, j’envisage le documentaire sous un angle personnel et peu objectif donc, comme un reportage sur moi, finalement, un moyen de créer un univers mental qui me correspond…
 
Justement, l’aspect autobiographique est très important dans votre œuvre ; dans quelle mesure cet aspect a-t-il une valeur « universelle » ?
 
- En lisant certains grands auteurs comme Hugo, Stendhal ou Mark Twain, je me suis rendu compte (et je ne suis bien sûr pas le seul !) que plus ils écrivaient sur eux-mêmes, plus ils donnaient de détails personnels, plus leur écriture prenait une dimension universelle. Dans Winnipeg, mon amour, il y a en effet pléthore de détails sur ma ville natale et sur moi-même et j’espère simplement, comme je suis honnête sur mes sentiments les plus intérieurs, que des personnes trouveront des analogies avec eux-mêmes, des similarités dans la façon de ressentir ou de percevoir des choses comme le plaisir ou la mélancolie. J’espère faire fonctionner la « machine émotionnelle » qui est en chacun de nous et en même temps, j’ai parfois l’impression d’être un entomologiste et penser qu’il y a même beaucoup d’analogies entre nous et les insectes (je vous conseille d’ailleurs les passionnants écrits de Jean-Henri Fabre que vous devez connaître…)
 
D’un point de vue formel, vous aimez mélanger des motifs anciens (noir et blanc, séquences muettes, intertitres,…) et modernes (utilisation de plusieurs caméras, montage très cut, rythme musical…). Quelle est votre volonté artistique sur ce point ?
 
- Certainement de travailler sur le souvenir, la mémoire ou l’amnésie…Le cinéma est un art encore très jeune malgré toutes ses évolutions techniques récentes ; il y a dans le cinéma muet tout un vocabulaire qui me paraît universel et qui convient bien à ma nature : je suis quelqu’un qui aime regarder en arrière, le passé est une obsession presque morbide chez moi…j’ai une passion pour cette période mystérieuse, presque occulte et qui concerne ma « pré-histoire ». De même, le noir et blanc m’attire beaucoup plus car il retranscrit parfaitement mon humeur mélancolique. Mais je suis attiré par les techniques modernes (le « jump-cut » que j’utilise à outrance dans mon court métrage Sissy boy slap party ou même les trucages numériques que j’ai expérimentés sur Dracula, pages tirés du journal d’une vierge) ; je suppose que ce mélange donne un côté décalé et drôle à mes films et leur permet de ne pas sombrer dans une lourdeur mélancolique et funèbre.
 
J’admire beaucoup votre film Careful et je crois qu’il s’agit de votre seul film en couleur ; pourquoi ce choix et comptez vous réutiliser un jour cette « option » dans un de vos films ?
 
-Merci beaucoup…J’en ai tourné un autre (moins réussi), Twilight of the ice nymphs. Pour Careful, c’est en fait la seule fois où j’ai utilisé la couleur en sachant pourquoi ; le film traite de la prudence extrême et je devais donner une tonalité « précieuse » au film, la couleur m’est apparue comme faisant partie de l’histoire. J’espère revenir à la couleur prochainement mais il me semble quand même que je pense mes histoires en noir et blanc ; on me dit souvent qu’il faut avoir une bonne raison pour faire un film en noir et blanc, j’aurais tendance à répondre qu’il en faut une pour filmer en couleur ! Pour moi, tous les chefs d’œuvre de l’histoire du cinéma sont en noir et blanc, je suis donc assez fier d’avoir ce défaut, même si certains trouvent cela prétentieux ou « arty ».
 
Au-delà du fait que vous êtes un réalisateur indépendant, acceptez vous d’être défini comme un cinéaste « culte » et « post-moderne » ?
 
- Indépendant, tout à fait, c’est ce qui me donne cette liberté de création. Le terme de « culte » me plaît bien tout en ayant bien sûr à l’esprit que cela n’implique pas d’être suivi par des millions de personnes ! Mon « culte » ne suffirait même pas à former une petite « Eglise Guy Maddin ». Dans le sens où mes films sont reconnus par un petit groupe qui à tendance à s’élargir et où les Festivals qui projettent mes films sont pleins, oui pourquoi pas « culte ». Le terme de « post-moderne » que l’on m’a déjà attribué me gêne si on le définit comme « réalisateur qui fait dans l’exercice de style, suit une mode et manque de sentiments ». Si on l’utilise pour qualifier quelqu’un qui a une connaissance précise du cinéma, réfléchit sur ce médium pour en extraire des sentiments refoulés de façon esthétique, alors ça me convient davantage…
 
Pourriez vous donner quelques informations concernant le budget de vos films et votre façon de filmer (temps de tournage, conditions de production…) ?
 
- Le budget de mes films est très variable : Et les lâches s’agenouillent, le moins cher de mes longs, a dû coûter autour des 20 000 dollars et Dracula, mon « film à gros budget » plus de 3,5 millions. En général, mes films sont de très petits budgets qui me permettent de jouir d’une totale liberté, un peu comme celle d’un peintre ou de Luis Bunuel qui disait n’avoir jamais mis ou enlevé de plans dans ses films contre son gré. J’utilise le Super 8 ou le Super 16, plus rarement le 35mm et le tournage est également très variable : entre quelques heures pour certains courts et plusieurs semaines. J’adore réaliser des courts métrages en deux- trois jours : il suffit de réunir quelques amis, un peu de matériel, des choses à boire et le tour est joué. Je le conseille à tous, surtout si comme moi vous êtes parfois dans l’ennui et la solitude !

Pourriez vous cependant envisager un jour de réaliser un film « mainstream », en travaillant sur un scénario qui vous intéresserait, par exemple ?
 
- Oh oui, j’en serais même heureux… si j’étais sûr que le résultat ne soit pas un désastre ! A une époque, j’avais même reçu des scripts venant d’Hollywood mais rien de vraiment concret ; j’ai maintenant 50 ans et je crois que c’est trop tard mais sait-on jamais… D’un autre côté, je pense que les frontières entre les différents paysages cinématographiques ont tendance à s’effacer un peu, qu’il y a moins de différences entre un film « underground », un film indépendant et un film de studio, alors qui sait ? Je tournerai peut être un jour avec un gros budget…avant de revenir à mon petit atelier de Winnipeg !
 
Un petit mot concernant Isabella Rossellini ; quel lien artistique (et humain) y a t-il entre vous ?
 
- Je crois que nous avons un peu le même tempérament esthétique et que nous nous faisons beaucoup rire l’un l’autre, ce qui est très important. Au-delà de nos origines très éloignées, nous nous sommes retrouvés sur de nombreux points comme la mélancolie, les fantômes, l’autobiographie mais aussi sur une approche surréaliste de l’art (vous pouvez voir sur Internet certains de ses Green Porno où elle est déguisée en insecte et explique leur sexualité !). Je crois que nous nous inspirons l’un l’autre, aussi…
 
La question traditionnelle : quels sont vos projets à venir ?
 
- Je compte commencer en fin d’année la réalisation d’un film sur Internet dans le style « histoire dont vous êtes le héros », un projet interactif donc, qui serait à la fois l’autobiographie de la maison dans laquelle se déroule les événements et une adaptation bizarre de L’Odyssée. Les scènes pourront être vues sous plusieurs angles différents et plusieurs petits courts métrages seront ajoutés à l’histoire principale (qui s’intitulera Keyhole) ; il ne s’agira pas cependant d’un jeu vidéo, les « visiteurs » auront juste le choix entre plusieurs éléments narratifs déjà écrits ; le film sera financé par la célèbre marque de dessous féminins Victoria’s secret lingerie.
 
(Ndr : Impossible de savoir à ce stade si ces informations sont sérieuses ou apocryphes ! S’agirait-il d’un canular inventé par le facétieux Guy ?)
 
Une dernière question : quelle est votre relation envers la France et qu’attendez vous de cette rétrospective de votre œuvre à Paris ?
 
- Tout d’abord, je suis un grand amoureux de la littérature française et plus particulièrement des auteurs symbolistes et décadents de la fin du 19ème siècle. J’adore aussi le cinéma français, Jean Vigo entre autres dont le Zéro de conduite reste pour moi une des plus hautes références. J’ai passé pas mal de temps à Paris mais mon français est toujours aussi incompréhensible ; je dois avouer que l’accueil que j’ai pu recevoir par le passé à Paris est extraordinaire (même si je suis bien accueilli en général dans les grandes villes américaines comme New York ou San Francisco). Pour cette rétrospective, j’ai juste l’espoir de voir des salles combles et un succès pour la version scénique de Des trous dans la tête qui me tient très à coeur ; j’espère voir l’émerveillement dans les yeux des spectateurs et la fierté dans les yeux de ma fille qui m’accompagne à Paris !
 
© Alexandre Lecouffe
 

 

 

 

 
 
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Guy Maddin
Winnipeg, mon amour

 

 

 

 

 

 

 

 
Guy Maddin
My dad is 100 years old
 

 

 

 

 

 

 

 
Guy Maddin
Winnipeg, mon amour
 

 

 

 

 

 

 

 
Guy Maddin
Dracula, pages tirés du journal d’une vierge
 

 

 

 

 

 

 
Guy Maddin
Careful
 

 

 

 

 

 

 

 

Guy Maddin
Twilight of the ice nymphs
 

 

 

 

 

 

 

 
Guy Maddin
Des trous dans la tête
 

 
 
 
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