EXTRAIT DU PETIT MONDE CARAVANES #77
… À la recherche de contorsions pour animer le Rodéo Club, je me suis aperçu que j’étais un Oucipien par anticipation. Petite fierté peut-être mal placée, un de mes derniers films est une très bonne illustration de ce que l’on pourrait sans doute appeler LA CONTRAINTE DE REDUCTION…
 
LE BORD INTIME DES FOULES
 
C'est un film très court qui a une très longue histoire.
C'est une histoire d'eau, de salle de bain, de buée, de condensation…
 
Condensation…Ce mot tombe juste ici :
En psychanalyse, c'est le mécanisme mental qui rassemble en une image plusieurs éléments disparates (souvenirs, fantasmes, événements). La condensation constitue l'essentiel du "travail du rêve", mais aussi du lapsus, des actes manqués, du mot d'esprit, etc…
Ce mécanisme est celui qui semble présider ici. Comme souvent l'image ne vaut plus pour elle-même, mais pour tout ce qu'elle rapporte avec elle des éléments disparates suscités, des plus visibles au plus intimes.
 
Condensation…C'est aussi, au figuratif, l'action de réduire à l'essentiel.
Au premier montage, ce film durait 13 minutes.
Au second, trois ans après, plus que 7.
Au troisième, trois ans passé encore, 3 petites minutes.
 
Condensation… Si je m'étais laissé faire par ces petites molécules d'eau en suspend, ces petites molécules d'eau passant d'un état à l'autre, ce film aurait pu appelé comme ça.
 
Mais en fait, ce film-là s’est longtemps appelé Boyracer.
>Au début, pour des raisons pratiques : Ce film était en fait un des clips longue-distance que je réalisais pour Lo-Fi, le label de Morvan. 13 minutes d'images montées sur la musique du groupe anglais BOYRACER.
>La musique disparaît dans la version de 7 minutes. Ne reste que la potentialité d'une confrontation entre une fille et un garçon.
Mais la rencontre, petite histoire classique du cinéma, n'aura pas lieu : ce boyracer pressé téléphone sans cesse à une fille qu'il voudrait connaître, mais celle-ci ne répond pas.
>3 minutes enfin, et il n'y a plus de garçon dans le film, mais le titre reste comme pour mettre l'accent sur ce quelque chose qui n'existe plus. Il indique la piste à suivre, car restent les traces : ce "garçon pressé" entraperçu, ces messages téléphoniques à peine audibles et cette fille qui fut pendant longtemps ma petite amie disparaissant dans le grain de l'image…
Boyracer devient alors mon premier film de fantômes.
Mais…
 

Le film passe en deux ou trois endroits, touche à chaque fois.
Je m’aperçois d’encore une ou deux retouches à faire,
d’un titre à changer, surtout.
 
En fait Boyracer n’était qu’un titre de travail, un titre (de) paresseux.
Mon cœur attendait juste qu’il soit pressant de lui substituer quelque chose de plus seyant.
La trace qu’il laissait me semblait alors encore trop visible, trop maladroite.
Je cherchais quelque chose de plus familier, de plus personnel, de plus…intime.
Je l’ai trouvé, un jour où je musardais chez Parallèles.
J’ai aperçu ce livre du coin de l’œil : le bord intime des foules.
« Quel titre formidable pour mon film, dommage qu’il soit déjà pris !».
Je me rapproche.
Comme souvent du coin de l’œil, j’ai lu ce que je voulais bien lire.
Il s’agissait en fait du bord intime des rivières de Richard Borhinger.
J’ai pris le titre, j’ai laissé le livre…
 
C’est souvent comme ça. On cherche pendant longtemps.
On ne trouve pas. On cherche encore et rien ne vient.
On se force, on ouvre un dictionnaire, on tourne en rond dans la maison.
On se gratte la tête. On prend son visage dans ses mains. Mais non. Rien ne vient.
Et quand enfin on s’arrête enfin, quand on relâche la pression, on tombe sur ce que l’on cherchait depuis si longtemps.
Et, en plus, si on vous demande, vous avez le toupet d’appeler ça du hasard.
 

 
Ordre alphabétique des précisions >
 
Boyracer : Presque un euphémisme : littéralement "Boyracer" signifie "garçon coureur". Dans l'argot de Bromley (dans la banlieue de Londres, où a été tourné ce film), boyracer désigne un garçon qui se la joue au volant de sa puissante voiture.
 
La contrainte de réduction : Une contorsion visiblement inspirée par la pratique du prélèvement, utilisée par Raymond Queneau dans ses exercices d’haïkaisation (prélèvements, sur des sonnets de Mallarmé, des sections rimantes pour en faire de nouveaux poèmes, nettement plus brefs, mais non moins beaux).
Ou,
une transposition cinématographique des tentatives de Jacques Roubaud, qui avait mis au point une méthode pour ramener « à des dimensions raisonnables » des textes anciens.
Ce qui finalement remet en cause l’idée d’Oucipien par anticipation : Je n’ai jamais lu les exercices de Queneau ou les tentatives de Roubaud, néanmoins, étant né dix années terrestres après l’OuLiPo, j’ai grandi alors que ces idées étaient dans l’air, je m ‘en suis donc inspiré par des voix détournées.
 
Morvan : Attention, Frime ! > Morvan est actuellement le boss de Virgin France.
 
Oucipiens : des gens qui appliquent l’OuLipo au cinéma.
 
Trashwave Manomade (page ): Expression copyrightée par votre serviteur circa 1991. Désigne un mouvement artistique (wave) où l’on fabriquait des artefact (souvent des fanzines, en fait) en série à la main (manomade) et à base de matériaux récupérés, souvent sauvés de la poubelle (trash).
 
 
 
 
 
 

 

 
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