VIVRE PAS SURVIVRE !
de Patrice Herr Sang
(éd. du Yunnan)
 

Quatrième publication des éditions du Yunnan, Vivre pas survivre ! revient sur les années 74/80, celles du punk, né de la crise de la pop musique dans un monde où la jeunesse ne peut plus s’inscrire. Le livre s’attache à rétablir bon nombre de vérités piétinées par des journalistes et écrivaillons aussi incultes qu’avides qui nous inondent depuis trois ans d’inepties sur la question.
Patrice Herr Sang, fondateur d’un des plus vieux fanzines punk hexagonal et label de disques, New Wave, parcourt les dites années, sans nostalgie et avec esprit d’analyse : une chronologie précise accompagne des témoignages de la scène lyonnaise, de banlieues, de Pologne… Et l’on ne peut que savourer les pages consacrées à la presse rock (Best et Rock&Folk) qui s’empressa de dénigrer le mouvement pour aujourd’hui faire du business sur son dos.
En guise d’introduction, D.Kelvin (éditorialiste de New Wave) signe la préface à coups de souvenirs, de groupes oubliés et de dents cassées, et Voto ( ) de nous livrer l’essence même du punk dans une lettre dont je reproduis à droite un extrait >>>
 
L’ouvrage est illustré par les graphistes qui ont accompagné New Wave: Voto, Chester, Tapage Nocturne, BB Coyotte, Colas et Urbs.
 
Conversation avec Patrice Herr Sang :
 
Stéphanie Heuze : Vivre pas survivre ! n’est pas un ouvrage « définitif » sur le punk, mais plutôt un témoignage sur un état d’esprit, relayé par ceux qui l’ont vécu et apprécié au point, comme le dit Tapage, d'en perpétuer les points positifs à travers leurs activités actuelles. Il apparaît clairement au travers des différents articles qu’une définition fermée du punk est impossible, du moins que vous la refusez…
 
Patrice Herr Sang : On peut toujours essayer de donner une définition du punk, mais « fermée », surtout pas, comme tout mouvement ayant ce genre d’impact, c’est justement parce qu’il n’est pas fermé qu’il l’a eu. Un mouvement qui marque son temps ne peut pas être « fermé », coincé dans une définition au sens musée du terme, c’est-à-dire qui « clôt une fois pour toute ». Le punk de 75/77 n’était pas le garage punk des années 60 ni le « Punk’s not dead » de 80/82, ni le punk manga d’aujourd’hui. Mais par contre, une ligne directrice réunit toutes ces formes de punk, un fil d’Ariane. Et ça, on peut le « résumer » en un mot : résistance. Ou refus. Refus des situations immobiles, des blocages, volonté de passer outre via la création de nouvelles formes, de nouvelles idées, résistance au conformisme, au conservatisme. Le mouvement d’hier qui se fige devient le conservatisme/conformisme d’aujourd’hui, qu’il s’agit de secouer par un nouveau mouvement. C’est un processus dialectique sans fin, heureusement ! Et à partir de là, finalement, Elvis Presley à son époque était punk. Etre punk pourrait signifier être l’étincelle qui met le feu aux blocages d’une époque. Le futur chasse le passé dans le présent. You see what I mean ? Rires !
 
S.H. : Vivre pas survivre !, c’est le titre d’une chanson de Haine Brigade. Pourquoi l’avoir choisi comme étendard ?
 
P.H.S. : Au-delà de la sympathie pour ce groupe, c’est parce que ce titre va bien à l’encontre du cliché que les médias ont essayé de coller sur le punk. Au mot punk, dans les années 77/78 et encore maintenant, les médias ont toujours voulu faire correspondre un aspect nihiliste. Ils n’ont rien compris volontairement car ils ont ainsi tronqué par exemple les textes des Sex Pistols. Le No Future dont ils parlaient, c’était celui du régime anglais. Et le No Future des jeunes chômeurs, ce n’était pas leur choix (ce qui aurait été alors un choix nihiliste) mais l’avenir que leur imposait le capitalisme. Personne ne se choisit l’impasse comme mode de vie. Ce sont les patrons, les banques, les décideurs économiques qui choisissent pour vous : tu seras chômeur, mon fils. Ou tu auras un boulot de merde, ma fille. Ce sont eux qui vous donnent comme horizon le « no future ». Alors que la revendication des gens, c’était (et c’est toujours) : nous voulons un avenir. Et pas un avenir de merde, de survie. On veut VIVRE. A partir de là, Vivre, pas survivre !, ça résume bien tout.
 
S.H. : Revenons sur l’aventure punk hexagonale, saluant au passage les groupes « oubliés » c'est-à-dire ceux qui n’ont pas signé sur les majors mais que Vivre pas survivre ! ressuscite le temps d’une lecture (à vos platines !). Le fanzinat, dont la vocation était de disséminer la bonne nouvelle et de relayer les informations concernant la scène, fait partie du mouvement punk. Tu as toi-même, avec Aline Richard, animé le fanzine New Wave puis créé un label du même nom. Comment New Wave est-il né ?
 
P.H.S. . : Le fanzine New Wave est né d’un mouvement. Rien ne tombe du ciel. Dans les années 77/80, il y a eu, parmi des tas d’autres actions revendicatives, un mouvement dit des « Mineur/es en Lutte ». Pas les mineurs des mines de charbon, mais les moins de 18 ans qui avaient décidé de faire connaître leurs revendications collectivement. Plutôt que de fuguer chacun dans son coin, une soixantaine décidèrent de le faire collectivement, en janvier 1979, occupant un bâtiment de l’université Paris 8 (qui était à l’époque en plein Bois de Vincennes). Cela dura toute l’année 1979 puis, tout a une fin. Mais une partie des personnes participant à ce mouvement n’ayant pas envie de s’arrêter là, désirant faire perdurer l’atmosphère sympathique qui se créé toujours au sein d’une lutte, et, parallèlement, ayant trouvé dans le punk l’expression logique de leur révolte, hey bien, ces personnes décidèrent de créer un fanzine, palliant aussi au manque d’information de la presse rock institutionnelle. Leurs premières expériences furent le zine du mouvement lui-même, intitulé LE PERIL JEUNE. Et début 1980, ce sera donc NEW WAVE. Non pas « new wave » comme la musique du même nom, mais dans le sens de « nouvelle vague » c’est-à-dire dans le sens de ce qui est nouveau, vient renouveler. Et c’était parti, avec huit personnes, sept filles (toutes mineures !) et moi.
 
S.H. . : Le label, créé en 1983, comprend une cinquantaine d’albums et 45T, et a contribué, au même titre que des dizaines de labels indépendants, à diffuser des groupes alternatifs. Le premier groupe est Norma Loy (groupe de cold wave français), le dernier Cojoba (hardcore portoricain). Entre les deux, Agent orange (Hollande), Les cadavres (France), Heimatlos (France), Ataque frontel (Pérou), Malicious grind (Etats-Unis), Flaming demonics (France), Revolucion X (Mexique), X-Syndicate (France)… Comment choisis-tu les groupes ? Comment s’effectue la distribution ?
 
P.H.S. : Dans la masse des propositions reçues, ce qui prime, c’est que non seulement la musique et les textes nous plaisent, mais aussi les personnes qui composent les groupes. Car travailler avec des cons, même si musique et textes sont bien, c’est rébarbatif ! Pour ce qui est de la distribution, la base est l’autodistribution, c’est-à-dire tout ce qu’on peut faire par nous-mêmes : ventes sur stand dans les concerts, catalogue de vente par correspondance, dépôts chez les disquaires indépendants, échange de stocks avec d’autres labels comme le nôtre, français ou étranger. On a toujours évité de passer par des distributeurs commerciaux. On a testé deux ou trois tentatives de distributeurs indépendants genre EMDIS, Plus au Sud mais ça n’a jamais duré car, trop souvent, dans le milieu indé, on croit qu’être alternatif, ça signifie être bordélique, qu’être organisé, c’est « bourgeois ».
 
S.H. : Un dictionnaire du punk paru récemment tente le tour de force des définitions. A l’article « Politique », on lit que dans l’ensemble le mouvement punk est apolitique, que «le message du punk tient tout entier dans cette phrase de Joey Ramone : "Gabba, gabba hey !". »... Dans Vivre pas survivre ! , tu écris : « Avec le punk, la politique fait un retour en force dans la culture et l’industrie du divertissement ». A l’évidence, vous ne partagez pas la même vision… Peux-tu nous expliquer comment du « no future » détourné de son sens par les médias pour en faire un mouvement nihiliste, le punk a perduré ?
 
P.H.S. : Il en est du punk comme tout ce qui est révolte. Tant qu’il y aura des raisons de se révolter, il y aura des révoltes. Or, comme nous subissons un système injuste qui se développe dans un sens toujours plus injuste, il n’y a aucune raison à ce que disparaissent les résistances culturelles qui se sont créées en opposition. Le punk perdurera aussi longtemps que ce qui l’a créé perdura.
 
S.H. : Dans la chronologie, tu parles beaucoup de la scène polonaise : avait-elle alors tant d’importance ?
 
P.H.S. : Oui et non. Disons que je voulais insister sur le fait que le punk n’était pas qu’anglo-saxon. Ceci dit, j’aurais dû relativiser car j’aurais pu aussi bien prendre l’exemple du Brésil, du Japon ou de l’Italie. Ceci dit, il est vrai que nous avions un contact privilégié avec les punks polonais. On correspondait régulièrement, un de nos membres y est allé et New Wave a aidé à la sortie de deux 33 tours de punk polonais en France, Kryzys et Deadlock. Donc ce n’est pas non plus un hasard.
 
S.H. : Tu évoques également Divine, interprète charismatique des films de John Waters (dès le deuxième court-métrage Roman candles, 1966, et bien entendu Mondo Trasho, 1969, Pink flamingos, 1972). Peut-on considérer Divine comme un personnage pré-punk ?
 
P.H.S. : Evidemment, surtout quand on sait ce que Divine a apporté au punk quasi à son corps défendant. Il est évident, lorsque Malcolm McLaren, futur manager des Sex Pistols, zonait à New York dans les années 73/75 et donc fréquentait les milieux où s’agitaient John Waters, Divine et d’autres artistes locaux, il a vu tous leurs films. Prenons deux exemples : dans l’un, Divine arbore une belle crête bleue fluo, l’une des premières connues (si on élimine la coupe « iroquois » de De Niro dans Taxi Driver). Et hop, lors de la vague « Punk’s not Dead » de 81/82 en Angleterre, plein d’iroquoises fleurissent sur les têtes des punks londoniens ! Deuxième exemple, encore plus flagrant : dans une scène de Pink Flamingos, Divine chante dans un cabaret My Way de Frank Sinatra et finit le show en tirant sur le public. Que fait Sid Vicious dans The Great R’N’R Swindle ? Il chante My Way et tire sur le public ! C’est ce qu’on appelle piquer des idées et les recycler, non ? Bref, Malcolm McLaren a beaucoup appris lors de son séjour new yorkais, auprès de l’underground local, et s’en est servi pour son activité punk à Londres ensuite.
 
S.H. : Peux-tu nous donner une filmographie « punk », ou pour être plus précise, une liste de films qui documentent la scène ou traduisent son état d’esprit ?
 
P.H.S. Difficile de donner une liste complète, mais voilà déjà une belle brochette.
 
La Brune et moi (1979) de Philippe Puicouyoul avec Marquis de Sade, Taxi Girl, Jacno, Elli Medeiros. L’un des rares films sur la scène punk hexagonale avec une pléthore de groupes fondamentaux.
Rude boy (1980) de Jack Hazan, avec Mick Jones, Joe Strummer, Jimmy Pursey
The great rock’n roll swindle (1980) de Julien Temple. A mon avis, plus intéressant que son dernier documentaire The future is unwritten, un mélange de fiction et de documentaire où on y voit mieux le rapport entre le message du groupe et son impact dans le réel de son public.
DOA (1981) de Lech Kowalski. En plus de documents rares, on assiste à la toute dernière tournée des Sex Pistols, celle aux Etats-Unis. Paradoxale car c’est aux USA que leur manager a trouvé un certain nombre d’idées pour démarrer l’aventure « Sex Pistols » et c’est aux USA que l’aventure prend fin.
Jubilee (1977) de Derek Jarman. Le film punk britannique avec un grand P. Tout y est. Un mélange d’ère victorienne en déconfiture et de punkitude so british, avec de grandes pointures des débuts (Adam Ant, Jordan, Siouxsie, Toyah).
Accélération punk(1977) Robert Glassman, Avec The Clash, Jam, Stinky Toys, The Damned, Sex Pistols. Un des meilleurs documents de l’époque “early punk” britannique.
Class 84 (1982). Avec ce film, on a un condensé de la vision parodique et paranoïaque que pouvaient avoir les médias bien-pensants sur le sujet.
Repo Man* (1984) de Alex Cox.
Le punk n’étant pas un phénomène purement britannique, il a donc essaimé partout, y compris via le cinéma. A ce bon polar punk américain, on peut ajouter des films comme A state of mind (qui, en suivant la tournée de deux groupes punk US, traduit bien justement cet « état d’esprit »), Desperate Teenage Lovedolls ou encore les films de Penelope Spheeris Suburbia ou Decline of the Western Civilization part I & II (sur la scène punk de Los Angeles).
The Clash: Westway To The World* (2000). Un documentaire complétant bien The future is unwritten et Rude Boy.
Les films de Richard Kern* et plus généralement le cinéma dit « de la transgression », sans oublier un certain nombre de documents sortant ces temps, comme Raw Power* sur les Ramones. Et surtout un certain nombre de films qui peuvent être considérés comme pre-punk, au sens de brandir l’étendard de la révolte et de montrer la « jeunesse » sous un angle peu connu, voire annonciateur : Orange Mécanique*, If , Scum*, Made in England. Mais je le répète, cette liste est juste indicative de quelques films punks incontournables.
 
(* films en location à Hors-circuits ; les autres films sont disponibles à la vente)
 
S.H : Pour finir, qui est sur la photographie de la couverture du livre, est-ce toi ??
 
P.H.S : Non, ce n’est pas moi ! C’est un ancien copain du lycée Bergson un peu fatigué…
 

 
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« Laisse moi te dire, Patrice, qu’à l’époque du punk on se prenait pour les meilleurs en fréquentant les pires. On a tenté par tous les moyens d’immortaliser notre adolescence au point d’en sacrifier notre enfance comme notre vieillesse. Après la mort de nos pères, mais avant la naissance de nos fils, on a tout donné dans une poignée d’années immortelles et historiques. Le punk n’est rien d’autre qu’une hypertrophie de l’instant jubilatoire au service de l’éphémère inoubliable. Nous avons tellement aimé notre adolescence qu’on en a graffité tous les murs. A force d’échecs, on a fini par obtenir du style. A force de ne pas faire comme les autres, on s’est détaché de la masse. Au lieu de nous marier, on a chahuté les mondanités. Au lieu de faire des gosses, on a entraîné ceux du quartier. Plutôt que de signer un emploi sécurisé, on a décidé de ne pas collaborer en pourrissant la situation. Au lieu de nous cacher pour vivre heureux, on est sorti de chez nous pour tartiner notre malheur. Nous savions que pour devenir nos propres maîtres, il fallait accepter notre esclavage. On a tout fait à l’envers pour tout remettre à l’endroit. Nous avons commencé par crever avant de donner la vie. On est resté tout seul tous ensemble. On s’est suicidé pour s’encourager à vivre. On s’est détesté pour apprendre à s’aimer. On a jeté la gratuité par la fenêtre pour ne pas se faire acheter. »
Voto, in Vivre pas survivre!
 

 

 

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New wave 1, nouvelle formule
 

 

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Interview de Julien Temple, réalisateur du documentaire Joe Strummer… the future is unwritten, actuellement en salle > par ici
 

 

 


vers le site des éditions du Yunnan, New Wave et autres activités du sieur Herr Sang >par ici

 

Patrice Herr Sang en signature à Hors-circuits au mois de mai 2008 pour son roman Six cadavres dans un cercle > par ici
 

Patrice Herr Sang alias Patrice Lamare en signature à Hors-circuits en mai 2013 pour son livre Les Lolitas au-delà du miroir par ici
 

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