CIRCUITS INTÉGRÉS : RÉCITS DE L’OFFSCREEN 2025
Dans le radar de toutes les cinéphilies bizarres de Belgique et de Navarre, le Offscreen Film Festival décanillait en mars dernier son XVIIIe pétard. Une majorité célébrée dans une bourrasque baroque, un orage subversif et une pluie de moments éclatants. Hors-circuits y était et vous fait le récit météorologique et non-exhaustif d’un irrévérencieux délice. Lezgoooooooo !
 
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Source : OFFSCREEN 2025
 
MERCREDI 12 MARS
 
18h54 - Il fait froid, il fait gris, il pleut comme Manneken qui pisse : « Bruxelles Midi, tout le monde descend ! ». Après l’Étrange, après le LUFF, Hors-circuits dégaine cette fois son manteau ciré pour un nouveau sommet d’incongruités : the one and only Offscreen Film Festival. Car la vingtaine bruxelloise entretient depuis 18 ans une sulfureuse réputation. Des bizarreries programmées à la pelle, mais aussi un parquet foulé par des légendes en paquet : le prince des ténèbres Jorg Buttgereit en 2019 notamment, le pape des gouttières John Waters en 2013, ou même l’année dernière la reine Christina Lindberg. Pour les bourgeons du printemps, on repassera : dans le pays plat, les premiers coups de soleil sont ophtalmiques. Hop, supplément polaire sous le parapluie, et C’EST PARTI.
 
21h00 - Rendez-vous au Cinéma Nova, QG non-exclusif du festival, et qui est définitivement une salle très spéciale (1). Le genre d’endroit où tout est super duper f*cking cool - l’ambiance post-indus nonchalante, le guichet old school, le fanzine placardé au-dessus de l’urinoir (2) … — et où chaque coup d’oeil dévoile un nouveau détail - big up à la sainte égérie de Christopher Lee qui trône dans un coin du bar. Cerise sur la barquette de frites, la salle du 3 rue Arengerg s’est apprêtée de ses plus beaux habits, recouvrant chaque cm2 recouvrable des affiches des films au menu de l’oculaire festin offscreenien. Pour un top départ, ça sent fort l’odeur des grands soirs et la foule agglutinée au comptoir sous-terrain ne s’y trompe pas - tchin tchin !
 

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Source : OFFSCREEN 2025
 
21h30 - L’ouverture, qui se jouait déjà à 19h30, s’offre une deuxième passe. Une ouverture sans fard - le luxe de la classe - et l’occasion d’abord pour les deux programmatrices Vanessa Morgan et Alexandrine Lirola de teaser les deux retrospectives à l’honneur cette année : la folk horror britannique et le cinéma chelou hellénique. L’occasion aussi d’introduire la première des 18 séances des «Offscreenings» : celles, non-compétitives, qui mettent en avant la création contemporaine - aka «le cinéma culte de demain ». Else ouvre le bal : coproduction franco-belge tournée dans les environs de Bruxelles, sortie en 2024 et réalisée par Thibault Emin qui se faufile sur scène le temps d’un coucou à l’assemblée - rappelant si besoin que son nouveau bébé n’a pas besoin de test de paternité. Car son film lui ressemble : malicieux, créatif, farfelu. Le conte d’une romance sur fond de confinement dystopique, de catastrophe sanitaire, de relents post-covidaires, les cotons-tiges laissant place à une étrange pandémie qui ferait fusionner les corps et les objets - chelou mais vrai.
 

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Source : OFFSCREEN 2025
 
Tenu par un casting envoutant - une Edith Proust à l’exubérance magnétique et un Matthieu Sampeur en sosie officiel de Nicolas Bedos version déconstruite -, Else brille par ses changements de rythme, ses métamorphoses visuelles et organiques. Il relève même le défi, improbable et crescendo, de mêler la poésie caustique d'un Dupontel aux goinfreries plastiques de Tetsuo (1989). Une drôle de marmite qui n’a pourtant pas tout à fait soufflé le consensus une fois les lumières rallumées : une consoeur festivalière reprochait une fin à rallonge et quelques sorties de piste graphiques ; un autre avait carrément l’air de se réveiller d’une sieste d’une éternité et demi. Vous l’aurez compris, moi j’étais plutôt emballé : rapport à une fantaisie qui ne renonce jamais à la simplicité ; à une critique sociale acerbe certes, mais toujours empathique. Alors chapeau l’artiste - hop un selfie sur la Grand Place, et au lit !
 
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Source : Else (Emin, 2024)
 
VENDREDI 14 MARS
 
19h - Retour au Cinéma Nova pour les premières victuailles de la « folk horror » britannique. Et quoi de mieux pour s’ouvrir l’appétit qu’un documentaire haletant et très détaillé sur le sujet ? Surtout si ce documentaire est réalisé par la descendance d’un des maitres du genre ? Eh ba double jackpot mon pote ! Car Rupert Russell - la même bouille que papa Ken - était de passage pour présenter, en avant-première belge, son The Last Sacrifice (2024), qu’il décrit laconiquement comme une enquête «about unsolved murders and about the original power of the occult in the UK». Ou comment le mystérieux meurtre de Charles Walton en 1945 ainsi que l’emballement policier et médiatique qui l’ont rapporté auraient provoqué la résurgence sur les écrans outre-manche du spectre de racines anciennes, païennes et ésotériques.
 
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Source : The Last Sacrifice (Russell, 2024)
 
Et bigre, son docu à Rupert, il m’a cramponné à mon siège. Déjà parce que l’écriture, le montage, les analyses, sont un tour de force didactique - à montrer dans toutes les écoles de storytelling. Aussi parce qu’il met brillamment en perspective la petite histoire de l’enquête et la plus large d’un imaginaire britannique. Enfin, et c’est le pied pour les cinéphiles, les images d’archive sont baignées par les extraits de films - programmés en grande partie par les équipes du Offscreen. Dernier plaisir : un épilogue à mourir de rire, où les Teletubbies - oui oui oui - entrent dans la danse de cette grande fête cryptique. Rupert Russell signe donc ici une déclaration d’amour poreuse et bilatérale entre les petites histoires et la très grande du cinéma. Quand est-ce que ça sort en BluRay Ultra 4K ?
 
21h30 - Conter fleurette et s’en mettre plein la rétine, pourquoi choisir ? Dilemme balayé semble-t-il par le duo de mes voisin/voisine qui - mes oreilles ont trainé - s’offraient le malaise endimanché d’un premier date au ciné. Et autant vous dire que les tourtereaux ont d’abord tiré la tronche : « La projection devrait durer 4-5h » - boum. Mais pas de panique, car c’était Robert Fischer aux platines, et l’animateur de radio britannique a allumé un gros fuego façon Hallyday Jo, offrant à une assemblée morte de rire et médusée une soirée légendaire dont le Offscreen a le secret.
 
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Source : OFFSCREEN 2025
 
Mais qui est Robert Fischer ? S’il se présente lui-même comme une « genuine weird British person » - tirée à toutes les épingles du dandy londonien -, il est également résident sur les ondes de la BBC et l’auteur de la très remarquée publication The Haunted Generation. Cette dernière est consacrée aux étrangetés proposées aux enfants sur les télévisions outre-manche dans les années 70-80 - enfants dont faisait partie l’ami Bobby. Parce que, dans une société encore fracturée entre balbutiements de modernité et archaïsmes du passé, les cathodes s’étaient - presque - généralisées. Elles restaient cependant verrouillées par l’emprise de gouvernements conservateurs qui, sous l’égide du Bureau Central d’Information, ont eu une idée brillante : éduquer leurs cadets en les traumatisant complet. (3)
 
Notre marathon télévisuel s’est donc ouvert sur une série de spots éducatifs tout à fait lunaires, à la fois d’une violence extrême et au propos wannabe ludique. Exemples ? Pour dissuader les bambins d’aller jouer dans les fermes, Apaches (1977) fait le récit, hébété et très très premier degré, d’une l’hécatombe : celle de Danny et ses amis qui vont tour à tour finir écrasé par un tracteur, empoisonné ou noyé dans une bonne vieille fosse à purin. Pas de jeux dans la ferme, VOUS AVEZ COMPRIS ? Dans Lonely Water (1973), c’est la mort et son capuchon qui viennent faucher les intrépides qui se risquent trop près des points d’eau - film ponctué d’un prophétique « I’ll be back ! ». Et plein d’autres séquences hilarantes mais bref … Voir des enfants mourir n’a jamais été aussi marrant, et pour ça : MERCI ROBERT !
 
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Source : Ghostwatch (Manning, 1992)
 
00h45 - Les travées du Nova était déjà muy caliente et ce n’était pourtant que le début de la soirée : toujours sous la houlette du showman à lunettes, ont ensuite été projetés deux autres trésors du petit écran, cette fois rattachés à la thématique festivalière de la folk horror. À commencer par la première des légendaires Ghost Story for Christmas réalisées par la BBC : le magnifique Stigma (1977), sorte de conte moderne frissonnant, croisant un maléfice ancestral à la profusion sanguinolente. Puis bien sûr, le clou du spectacle, ultime frénésie attaquée bien après minuit, l’antiquement génial Ghostwatch (1992). Pensé comme un calembour télévisé - une vraie fausse chasse aux fantômes filmée dans les conditions du direct -, ce mockumentary n’en a pas moins secoué la crédulité d’un pays tout entier, et à raison peut-être : « If it had been real, it would have been presented the same way », nous glisse Fischer, encore groggy de cette cicatrice cathodique.
 
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Source : Lonely Water (Grant, 1973)
 
Qu’on se le dise : après « Lol qui rit sort » et les slips que Cyril Hanouna se met sur la tête, ce moment de télévision trentenaire est paru bien terne et il fallait outrepasser la patine kitschy vintage pour frissonner un tantinet. Ghostwatch n’en est pas moins la relique importante d’un autre temps où le poste du salon était autre chose qu’un ramassis d’imbécilités orchestrées par Bolloré - « c’était le temps d’avant » comme dirait Céline. Un point d’exclamation idoine et final donc, à cette soirée d’hiver indien, rythmée par les curiosités, les éclats de rire, et les cernes jusqu’au nez. Les spectateurs sont sortis du Cinéma Nova fatigués mais heureux : oui, pour qui se pose la question, j’ai aperçu les deux tourtereaux en train de se lécher les canines à la sortie. Viva la télé !
 
SAMEDI 15 MARS
 
14h47 - Météo bruxelloise ? Toujours grise. Mais pas d’soucis Suzie car le Offscreen organisait ce samedi après-midi dans les travées souterraines du Nova une « 2nd hand film fair » agrémentant plein de façons de réchauffer les coeurs et la CB. À commencer par des affiches plus ou moins subversives. Notamment une sublime impression flamande d’Exponerad (1971) - mais bon 75€, pfiou. Ou encore une publicité non-conventionnelle des voyages outre-atlantique : L’Hôtesse voyage sans Slip (1981). Coté DVD, ça partait dans tous les sens : de Lara Croft à Vij en passant par Expendables 2 - bof. J’allais donc repartir bredouille quand je suis tombé sur le stand de la programmatrice Vanessa Morgan et son livre Meow!: Cats in Horror, Sci-Fi, and Fantasy Movies (2025), déclaration d’amour féline et cinéphile aux chats dans le cinéma de genre. Généreux et méthodique, l’ouvrage revient par exemple sur quelques évidences - le très beau Cat People de Jacques Tourneur (1942) - mais aussi sur des références plus étranges - comme le non-moins éclatant The Cat (1992). Bref, des pages qui se laissent caresser dans tous les sens du poil : alors foncez jeunes ailurophiles - mot compte triple !
 
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Source : OFFSCREEN 2025
 
17h - Entrée en scène de l’une des stars du festival : le prolifique Ben Wheatley dont était projeté ce jour-ci A Field in England (2013). Certes le réalisateur n’était pas présent, mais ses images marchaient quand même en terrain conquis : d’une part le Offscreen avait programmé ses High Rise en 2015 et In the Earth en 2021 ; mais surtout le masque mythique de Kill List (2011) se retrouve carrément sur l’affiche de cette édition 2025 - en plus d’être programmé dans le cadre du festival. Un tapis écarlate donc, que j’ai pourtant foulé à rebours car sceptique de mes précédentes expériences du cinéaste britannique - Rebecca c’est en noir et blanc, et C’EST COMME ÇA (4). Mais alors A Field in England, ça donne quoi ?
 
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Source : A Field in England (Wheatley, 2013)
 
« Tourné comme un midnight movie » - un budget riquiqui de 350.000€, seulement 12 jours de tournage -, et scénarisé par Amy Jump - la compagne de Wheatley -, le film est affaire de grand écart : fresque historique mais psychédélique, raffinée mais grivoise, inerte mais fantaisiste. Il oscille même sans transition entre les moments de crasse putride et les instants de grâce ultime. Oui, il fallait s’étirer les adducteurs, mais ça marche. Rapport à l’orfèvrerie éthérée de son black & white - celle-là même qu’il fallait pour rebooter Rebecca, goddamnit ! -, aux gueules cassées hypnotiques de son casting et à sa partition musicale qui achève de faire basculer la salle dans une lévitation transcendantale. Les lumières rallumées, les traditionnels claps-claps ont d’ailleurs laissé place à un curieux silence de cathédrale, signe - je crois - moins d’un bide, que d’un tour de magie réussi : celui qui désempare et qui coupe le fflet-si. C’est par où la suite ?
 
19h - Voyage en terre inconnue : c’est à quelques encablures que mon après-midi se prolonge, au risque - parjure ! - de louper la projection de Reflet dans un Diamant Mort signé par Helène Cattet et Bruno Forzani. Le duo belge était de retour chez lui, au Nova, pour fêter cette sortie dans l’amour et le bruit. Mais après tout chacun ses goûts et ma part a préféré se diriger vers la Cinematek pour assister plutôt à la projection de Lair of the White Worm (1988) (5). C’est Rupert Russell, encore dans les parages, qui a fait le plaisir à une salle pleine à craquer de distiller quelques anecdotes sur ce nanar réalisé par son père : ce dernier hurlant « MORE RAPE ! MORE PILLAGE ! » lors du tournage d’une des scènes culte du film ; ou la première presse qui a fait salle quasi vide. Avant, Rupert Russell toujours, d’introduire ce petit bi(s)jou de la plus belle des manières : « Is it horror ? Is it comedy ? Is it stupid ? Probably a lil bit of the three … » - et la salle se bidonnait déjà de rire.
 
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Source : Lair of the White Worm (Russell, 1988)
 
Bon c’est clair qu’on imagine bien Lair of the White Worm filer de l’urticaire à Tarkovsky, mais franchement - FRANCHEMENT -, quel kif ! Le genre de « it’s so bad it’s awesome », qui assaisonne une trame narrative assez classique - le chevalier pourfendeur, la vierge effarouchée, la tentatrice sexy - à un océan de kitscheries. À ce titre, reconnaissons à Ken Russell le mérite de ne se donner aucune limite : et vas-y les minauderies serpentines, et vas-y les sourires Colgate de Hugh Grant - oui, il est là lui -, et vas-y les métaphores sexuelles explicites - mais que peut bien vouloir dire ce stylo qui s’excite ? Tout y passe ! Jusqu’à ces fameuses scènes de rêveries qui viennent saupoudrer le film d’un soupçon de poésie trash, surréaliste et presque y2k origine ! Amanda Donohoe est aussi impeccable dans son rôle de déesse venimeuse et séductrice. C’est pour voir ce genre de films que j’ai pris l’Eurostar - feu- mon beau Thalys - alors pour ça, merci le Offscreen !! Et sur ce, parjure n°2 - louper la projection de The Wickerman (1973) sur grand écran - parce que bon : que serait un séjour dans le plat pays sans se mettre des litres de bière dans le gosier ? Burp !
 
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Source : Lair of the White Worm (Russell, 1988)
 
DIMANCHE 16 MARS
 
15h37 - Il n’y pas que le cinéma dans la vie, et puisque Bruxelles étale ses vibrations dans tous les champs artistiques (6), passage obligé du coté de Bozar pour la somptueuse exposition de Berlinde De Bruyckere. L’artiste gantoise recensait, pour la première fois dans la capitale belge, la somme d’un travail majeur entamé il y a un quart de siècle : « des images de souffrance, mais aussi de beauté, de désir et d’amour », lyricise le guide. Pièce après pièce, les installations estomaquent autant par leur monumentalité que dans leur articulation généreusement composite, alliant tantôt le bois, tantôt les peaux, tantôt le fer, et tantôt tout à la fois. Alors ça ne respire pas tout à fait la joie de vivre hein - façon Francis Bacon sous anxiolytique -, mais le spectacle de ces « métamorphoses » n’en est pas moins fascinant ; et servi, au passage, par une proposition curatoriale admirable. L’expo est ouverte jusqu’en août alors lezgoooo !
 
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© Nicolas Andrieux
 
17h - Retour aux hostilités cinéphiles avec un grand classique de folk horror britannique : l’immense Witchfinder General. Réalisé en 1968, il forme une sacro-trinité maudite en compagnie des autres Blood on Satan’s Claw (1971) et Wickerman (1973) - pardonne mon infidélité Christopher Lee. Alors que la Hammer s’essouffle, le genre se réinvente grâce à des regards neufs et innovants : celui notamment de Michael Reeves, 24 ans, qui réalise ici son troisième et dernier métrage. À l’écran, c’est une autre histoire : celle inénarrable de Vincent Price, 57 ans déjà et affublé de son jeu ô combien théâtral. Un choc de générations autant que de propositions, et l’anecdote raconte que Reeves aurait gagné le respect de son acteur lors d’une altercation : « J’ai tourné dans 84 films, qui êtes-vous pour me dire de calmer mon jeu ? - Moi, j’en ai réalisé trois bons. » Ambiance.
 
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Source : Witchfinder General (Reeves, 1968)
 
Méthodique, didactique, dans la dissection opératoire d’un soit-disant inquisiteur, Michael Reeves terrifie d’autant plus qu’il s’inspire d’une histoire vraie, celle de l’infâme Matthew Hopkins : un gros malade qui photoshop des lettres de Poudlard à tout va, avant de dégainer buchers, écartèlements ou noyades. Les scènes de torture sont d’ailleurs explicites, The Witchfinder General est donc à visionner à la lumière d’un gros paquet de trigger warnings. Mais voilà, cette générosité graphique transperce également l’image de moments de poésie - ce coucher de soleil très herzogien pour ne citer que lui. Ces fulgurances compensent d’ailleurs d’autres partis pris plus vieillots - sympa le brushing Vincent ! Toujours est-il que les sorcières revenant au goût du jour (7), ce film se revoit comme un manifeste féministe et porte une correspondance brûlante, entre l’Inquisition du Moyen-Âge, et le patriarcat version 2024.
 
21h30 - Quelques arabesques de Rolex plus tard, c’est donc au tour de Blood on Satan’s Claw (1971) d’ajouter sa pincée de gros sel dans une rétrospective déjà dense : autre « cult classic » - nous chauffe-t-on en introduction -, autre tour de force. Là encore illustré par la prise de pouvoir d’une jeunesse qui a repris le flambeau de l’ésotérisme au cinéma : elle est incarnée cette fois par Robert Wynne-Simmons, présent ce soir pour distiller quelques souvenirs. Le scénariste du film raconte notamment son chemin à l’époque loin du cinéma d’horreur, les rencontres hasardeuses qui l’ont mené à ce projet, le travail d’équipe qui a permis de « pull out that strangeness », et sa surprise flegmatique de voir La Nuit des Maléfices - moins groovy que la version originale - continuer à remplir les salles près de 50 ans plus tard : nous aussi on est content de te voir Robert ! Et sinon ?
 
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Source : Blood on Satan’s Claw (Haggard, 1971)
 
Oui blablabli film culte absolu, à voir, revoir etc. Mais qui m’a laissé perso une impression bizarre. Je m’explique. Tout allait plutôt bien dans cette bourgade de province, jusqu’à ce qu’une carcasse démoniaque soit accidentellement sortie de terre. S’ensuit une escalade satanique, menée par les adolescents de la région et symbolisée par une pilosité terrifiante qui leur pousse le long des gambettes. Fort heureusement, l’ordre sera rétabli par les notables et leurs choucroutes impeccables - merci l’establishment. Alors question : que veut nous raconter ce film ? Qu’il est très très inquiétant de voir les bambins des 70s préférer se rouler dans l’herbe plutôt que d’aller à la messe ? Que Jim Morrison est le diable en personne ? Qu’avoir des poils, c’est tout à fait abominable ? Ces réflexions me démangent les cordes vocales en sortant de la séance et je cherche désespérément une oreille clémente. Je finis par en trouver une qui me rétorque, peinarde, que la soundtrack était réussie et que Linda Hayden est très jolie - ah ba super le débat mon gars. J’ai eu mal à mon masque, à ma plume, et je suis rentré chez moi avec fracas : NAH !
 
LUNDI 17 MARS
 
19H - Répit donné au Suffolk britannique et cap sur l’Europe méridionale pour l’autre des rétrospectives très attendues de cet Offscreenn 2025 : les chelouteries helléniques d’hier et d’aujourd’hui. « Πάμε λοιπόν » - on me glisse à l’oreillette que c’est comme ça qu’on dit « c’est parti » en grec. Et après cette prouesse linguistique, quelques mots tout de même - charme des nations biglottes - des introductions en flamand et en français avant chacune des projections. Car il est là le running gag du festival : des présentations aussi dodues qu’elles n’ont l’air passionnantes dans la langue d’Eddy Merckx, et - presque - systématiquement rabotées au plus simple appareil dans leur transcription familière. De là à poncer Duolingo ? Non. Le verbe est-il toujours plus vert ailleurs ? Peut-être.
 
C’est au Cinéma RITCS qu’il fallait se diriger pour le double feature du jour - le problème du Nova, c’est qu’il rend les autres salles horriblement banales. Des mots même de Vanessa Morgan qui présente la séance, le cycle se prolongera vers des moments fuckés et immanquables - Island of Death (1976), trop hâte !! -, mais il s’ouvre là par l’origin story de cette retrospective, par celui qui s’est imposé comme le porte-drapeau de la grecophilie : l’oscarisé et le très - trop ? - plébiscité -, Yorgos Lanthimos. À moins de jouer aux ombres chinoises platoniques, le Yorgos, tout le monde connait ou en a au moins entendu parler : le genre de consensus farouche qui rimerait presque avec double doigts dans la bouche - avis perso. Pas de côté du Offscreen cela dit, qui décide non pas de présenter les dernières sorties en date, mais de remonter aux débuts du réalisateur, à son troisième projet : Dogtooth (2009).
 
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Source : Dogtooth (Lanthimos, 2009)
 
Un film qui continue, 15 ans plus tard, à faire couler beaucoup d’encre, a fortiori dans le contexte fascisant actuel. Rapport à l’ostracisation de cette famille derrière les quatre murs de leur villa, au travestissement du langage comme outil de soumission idéologique, à l’imposition d’une vérité, verticale et dogmatique. De là à y voir des échos avec la grande muraille de Trump et une condamnation prophétique de Twitter ? Bof. Si je gardais d’un premier visionnage ancestral le souvenir d’une proposition très politique, je vois plutôt ce soir une performance d’acteurs qui, passées les joies du rafraichissement de mémoire, tombe assez vite dans la surenchère caricaturale - genre Cours Florent option absurdie. Alors oui, la salle était comble - et composée d’un public inhabituellement hétéroclite pour les standards du Offscreen -, mais cela ne raconte-t-il pas la résonance mainstream - et donc oxymorique ? - de ce « coup de poing » cinématographique ?
 
21h - Ah ba c’est clair pour que Pity (2018), il y avait plus de place pour étaler ses compas. Dommage, parce qu’il était là le gros banger de la rée-soi ! Réalisé par Babis Makridis, il prolonge Canine dans une cousinade hellénique : écrits l’un et l’autre par Efthimis Filippou - collaborateur de longue date de Lanthimos ; explorant l’un et l’autre les failles de la société contemporaine grecque ; mêlant l’un et l’autre pamphlet minimaliste et humour noir bien senti, à la sauce frères Coen mais plus acide. Le deuxième acte de cette soirée se démarque pourtant du premier. Il préfère un propos plus universaliste pour aller piocher dans les tréfonds de l’âme humaine à travers le portrait d’un homme qui trouve du bonheur dans son malheur : parce que c’est quand même très agréable quand ta voisine te prépare un gâteau par solidarité pour la maladie de ta femme. Tout a d’ailleurs été pensé pour faire la part belle à ce personnage égocentré : son systématisme à l’écran ; la bande originale qui oscille entre L’Ode à la Joie de Beethoven et le Requiem de Mozart - histoire de bien marteler ses variations émotionnelles ; et puis bien sûr, un acteur au sommet de son art.
 
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Source : Pity (Makridis, 2018)
 
Car Yannis Drakopoulos tient bel et bien le film : ça tombe bien, on ne voit presque que lui. Le reste de sa carrière est plus ombragée, ne tenant que des petits rôles dans des courts-métrages ou des séries télé. Pity restera probablement le rôle de sa vie, une ligne dorée sur son CV tant la mise en scène clinique, presque Wes-Andersonnienne, se modèle autour de ce drôle d’avocat, de son expressivité laconique et de son irrépressible besoin d’attirer l’attention sur lui. Pour info - j’ai fait des recherches sur wiki - ce syndrome à l’honneur est celui de Münchhausen, mais la version « par procuration » : celle qui entend simuler non pas sa propre maladie mais celle de ses proches, dans une quête désespérée d’empathie. Un désespoir jusqu’au-boutiste et les dernières minutes du film offre d’ailleurs un 0 à 100 aussi radical que jouissif. Une note finale chaotique qui envoie valdinguer Wes Anderson et les frères Coen : ça c’est mon Offscreen Festival - et merci pour cette très belle surprise.

MERCREDI 23 MARS
 
16H42 - Après la bière, après Berlinde De Bruyckere, autre détour bruxellois extra-cinématographique OBLIGATOIRE : un passage chez Doctor Vinyle ! Pour les néophytes, ce magasin de disque de la Place Saint-Géry est une légende écrite entre les quatre murs d’un étalage exigu et bordélique. Parce que Bruxelles dans les années 90, ça avait l’air d’être un sacré cool endroit pour faire la fête, et Doctor Vinyle s’est imposé au fil des années comme la mémoire de ces ravageuses scènes acid, new- et broken beat. À la caisse ce jour-ci, le bavard Geert Sermon - mais quand on a autant de souvenirs à partager, la bavardise n’est-elle pas de responsabilité civile ? -, grand artisan notamment des extraordinaires compilations The Sound of Belgium (8), déclinées en trois volumes et qui se revendent sur Internet au prix d’un testicule et demi. On y retrouve certaines évidences - Front 242, Telex, Pas de Deux … - et d’autres pépites que j’ai découvertes au fil de mes pérégrinations musicales - Mappa Mundi, Age of Love, Lhasa … Ça donnerait presque envie de s’envoyer 96h de rave, mais ça serait quand même dommage de louper Jacques Spohr et ses fantaisies grecques. Vite vite vite !
 
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© Nicolas Andrieux
 
19h - Direction l’hypercentre de Bruxelles, au détour d’une galerie désuète et calfeutrée entre deux échoppes de lunettes et de CBD : l’intrigant cinéma l’Aventure. Salles « confort » - promesse de la devanture -, elles troquent pourtant la surenchère ouatée des multiplex par un charme vintage et minimaliste - pour ne pas dire délicieusement j’m’en-foutiste. Surtout, comme son nom l’indique, l’Aventure est un passeport vers des sentiers débattus, et qui mène ce soir vers la Grèce, sous l’égide S’IL VOUS PLAIT du plus passionnant des guides touristiques : Jacques Spohr. J’attrape donc son train en route : le fondateur de l’Insatiable (9) faisait son entrée en piste la veille, mais présentait deux films déjà dégustés par votre dévoué dans une autre rétrospective hellénique, au LUFF en 2023 (10). Au programme du second des quatre double bills de sa composition : The Deserter (1970) et The Mark (1976). À table !
 
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© Nicolas Andrieux
 
Et Jacques Spohr n’oublie pas de détailler le menu, fidèle à sa réputation d’introducteur encyclopédique ! Nous voilà donc partis, à l’amorce du premier des deux films, pour le portrait prolixe de James Paris, producteur du Deserter : le portrait trouble d’une success story hollywoodienne, d’un retour en Grèce, d’ambitions grandiloquentes, d’une coopération avec la junte de 67 et donc d’une réputation sulfureuse et controversée. Après l’exploitation érotique, il explore ici un contexte militaire et presque post-apocalyptique, livrant malgré ses accointances avec le régime une peinture contrastée de la guerre et de ses victimes. À la chute de la dite « dictature des colonels » en 74, sa carrière périclite jusqu’à sa mort en 1982, laissant dans les mémoires le souvenir d’un « gars dégueulasse » mais aussi celui d’un véritable amoureux de cinéma, moins idéologue qu’opportuniste. Pour finir, Jacques Spohr nous précise quand même que le film est réalisé par Christos Kefalas - seulement trois métrages à son actif -, mais qu’après tout « l’exploitation au cinéma est toujours l’affaire des producteurs ». « Trêve de blabla, voyons le film ! »

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Source : The Deserter (Kefalas, 1970)
 
Malgré les détails biographiques passionnants, l’introduction aux images elles-mêmes ne respirait pas tout à fait l’enthousiasme et on ne s’attendait donc pas vraiment au coup de boule esthétique. Alors c’est clair que The Deserter intéressera d’abord - uniquement ? - les complétistes. Il n’en mérite pas moins son petit coup de louche au moins pour la grande tambouille de références qu’il sert à son public. J’ai presque eu l’impression de voir un mélange improbable entre Luchino Visconti - époque néo-réaliste - et Doris Wishman - époque roughies : du bon gros drama lacrymal et des parenthèses cautisquement lubriques - toujours très efficaces les batailles dans la gadoue entre deux jolies filles. Mentionnons aussi la partition d’Alessandro Alessandroni - non-crédité au générique - qui se donne beaucoup de mal pour faire décoller le film, mais qui se fait trop souvent couper les ailes par des coups de ciseaux artificiels. Pour qui passera outre l’intrigue tout à fait misogyne - un bellâtre « pacifique » qui fait fondre toutes les protagonistes -, pourquoi pas ; sinon, pas pour toi !
 
20h50 - Mais pas de panique car la deuxième partie de soirée s’annonçait autrement plus épicée. Bond dans le temps maigrichon - six petites années - pour un contexte tout de même révolu : la libération est passée par là, et le cinéma grec est en vrac - nous raconte toujours Jacques Spohr. Environ 120 films par an étaient produits à la fin des 60s ; après l’effondrement de la junte, on n’en compte plus qu’une trentaine qui, respectant l’adage ancestral, fait surtout recette en bariolant le trash et les femmes à poil. Dans le lot, The Mark : « superproduction minable », eurospy aguicheur, et publicité à peine masquée pour le tourisme sexuel au bord de la Méditerranée. En un mot : le RÊVE. D’autant que la réalisation signée Ilias Milonakos - qui tournera par la suite des «comédies effroyables» - était projetée ce soir dans une version inédite, compilant les scènes charcutées à sa sortie par les distributeurs du monde entier - courtesy of Vinegar Syndrome. Le RÊVE on a dit !
 
Andrieux OFF 21
Source : The Mark (Milonakos, 1976)
 
Alors pas sûr d’avoir tout très bien compris à l’histoire - une sombre machination à plusieurs étages -, mais vous vous doutez que l’histoire, on s’en fout pas mal. The Mark est une invitation au voyage, une déclaration d’amour, fantasque et maladroite, aux tréfonds d’un cinéma bis immonde mais fantastique. Des zooms sur les raies des fesses ? Des duels kitchos dans les rues d’Amsterdam ? Des combos pattes d’eph / bandana ? Autant de détails qui en laisseront certains sur le carreau - et comment leur en vouloir ? Par contre, pour les amateurs du licencieusement bizarre, cette pépite - encore introuvable - est le genre qui accommodera tout à fait une soirée entre potes, des bières et un gros pétard. Avec en point d’orgue bien sûr, une escalade finale rocambolesque et impitoyable qui brûle la rétine comme un soleil au zénith en période estivale - Claudine Beccarie et son shotgun, l’énorme classe. Ça ferait presque oublier qu’il flotte encore à Bruxelles en cette fin mars : le pied total.
 
Andrieux OFF 22
Source : The Mark (Milonakos, 1976)
 
22h15 - Après la séance, quelques aficionados non-rassasiés se rassemblent autour du guide suprême pour venir s’abreuver de la sainte parole Spohrienne. L’occasion de revenir sur cette dernière scène de The Mark, hommage en forme de plagiat au formidable Thriller (1973) et à son héroïne suédoise. L’occasion aussi pour le programmateur d’évoquer son séjour à Athènes en 2014, point de départ de son enquête effrénée sur l’exploitation grecque. Ou encore l’occasion de partager une anecdote, celle du tournage de La Route de Corinthe (1967) en pleine révolution hellénique, où les autorités militaires donnèrent les pleins pouvoirs à Claude Chabrol sur l’autel d’une liberté sibylline : «Monsieur, vous êtes dans un pays libre, tournez où vous voulez, et si quelqu’un vous embête, on l’enferme». Et puis, comme c’était un cercle de puristes, ils ont aussi parlé de trucs auxquels je n’ai rien compris - et alors que Jacques Spohr a voulu s’accorder une pause pipi, certains l’ont même suivi jusqu’aux WC. Moi je suis rentré me badigeonner la rétine de Biafine.
 
VENDREDI 21 MARS
 
19h - Allez vlan, je passe sur les deux films de la veille, parce que l’exploitation grecque, c’est aussi chouette que répétitif : d’la sea, du sex, et du fun. Big up quand même au funk nanardesque de Tango of Perversion (1973), aux courses poursuite rocambolesques de Diamonds on her Naked Flesh (1972), et no problemo Pedro : Jacques Spohr n’a pas dit son dernier mot !
 
En attendant, changement d’air bienvenu. Retour au Nova avec la projection très attendue de Body Odyssey : le film réalisé en 2023 par l’italienne Grazia Tricarico continue sa tournée des festivals - je l’avais notamment loupé à l’Étrange en septembre 2024 - et ma hâte est proportionnelle à l’enthousiasme que bruitait les couloirs du Forum des Images. Pour introduire cette épopée musclée, la programmatrice Alexandrine Lirola fait le rapprochement naturel avec le célèbre Pumping Iron (1977) - celui avec le beau Schwarzi - mais surtout avec le deuxième opus de 1985, documentaire lui aussi dédié au culturisme mais cette fois à ses compétitrices féminines. Car Body Odyssey, fiction amplificatrice de réalité, fait le portrait de Mona, bodybuildeuse quadragénaire, et de sa préparation jusqu’aux portes des enfers pour les championnats du monde.
 
Andrieux OFF 23
Source : Body Odyssey (Tricarico, 2023)
 
Brutal, poétique, baraqué mais introspectif, le film de la réalisatrice italienne est, disons le d’emblée, un uppercut]t] synesthésique : à une partition sonore magistrale - et pas seulement musicale -, se mêle des images aussi baroques que texturées, au presque point de pouvoir les sentir, et de pouvoir les toucher. Certaines critiques en ligne se sont plu à généalogiser [T[Body Odyssey avec le body horror cronenbergien. Alors libre à chacun, certes, de s’épouvanter devant des corps musclés mais perso j’ai trouvé que Grazia Tricarico allait encore plus loin dans son exploration graphique, superlative, matricielle, tant son regard fait cohérence et système. Elle dresse aussi un portrait nuancé et empathique d’une protagoniste sculptée comme une déesse antique, tenue à merveille par Jacqueline Fuchs. Un portrait entre splendeur et vulnérabilité, entre puissance et sortie de route. Parce que oui, le film bascule dans la démesure spectrale, les entrailles gargouillantes et la schizophrénie minérale, mais il n’oublie pas au passage d’être drôle, touchant et tout simplement beau. Grazie Grazia !
 
Andrieux OFF 24
Source : Body Odyssey (Tricarico, 2023)
 
22h - Nous voilà partis pour la seconde des épiphanies noctambules du Offscreen : après Robert Fischer la semaine passée, c’est cette fois Jacques Spohr aux manettes, avec toujours dans sa valisette des nanardises grecques à la pelle. « Toujours au poste ? » me glisse-t-il avant d’entrer en scène : À FOND ! Et le voici, toujours très relax avec ses cheveux en pétard, chopant le micro devant une foule en délire - une foule plus calvitiée que mixte - et lançant les hostilités par une série de bandes-annonces : hommages à l’exploitation hellénique et surtout annonciatrices de toutes les chaleurs à venir. Le premier des deux feature films de la soirée ? Caresses Indiscrètes (1976), projeté - s’il vous plait - en 35mm, grâce au big boss de Vinegar Syndrome, Mr. Joe Rubin, qui nous a ramenés la bobine direct depuis les États-Unis - l’empreinte carbone, elle aussi, est cinéphile. Bon mais Caresses Indiscrètes alors ?
 
Andrieux OFF 25
Source : OFFSCREEN 2025
 
Réalisé par Omiros Efstratiadis, le film est annoncé comme typique du style « summer sex » : du divertissement de bas étage, un budget ric-rac, un cadre paradisiaque, des maillots ras la banane, youpli tralala. Avec toujours en ligne de fond un semblant d’intrigue policière - parce qu’ « il faut croire que l’érotisme a toujours besoin d’un prétexte ». Jacques Spohr continue de nous expliquer que ce métrage est prophétique de ce qui deviendra le tourisme de masse dans ce coin de la Méditerranée : les grands hôtels, les piscines, les boîtes de nuit, la débauche à gogo. Puis, celui qui se décrit comme un « enquêteur maniaque » du cinéma grec nous raconte aussi qu’Efstratiadis va dégringoler tout au long de ce qu’il lui reste de carrière, passant des films érotiques tournés de manière industrielle aux comédies désolantes puis aux reality show façon Tournez Manège !, pour continuer à vivre malgré tout de ses images.
 
Bon et le micro devait être bien chaud parce qu’on l’a senti parti pour nous parler toute la nuit, mais il se résout malgré tout à lever le pouce au projectionniste et les lumières se tamisent. Sauf que - SURPRISE -, c’est le mauvais film qui démarre et Jacques Spohr, en catastrophe, vient sauver le public d’un contre-sens total - dans une tempête d’éclats de rire. Tout azimuté par sa transat, Joe Rubin nous expliquait que Vinegar, au départ, pensait avoir récupéré la peloche en ouvrant des boites au hasard. Donc voilà, un petit grain de sable s’est glissé dans cette logistique artisanale, mais yolo, c’est pas grave. Le genre d’aléa qui fait le sel des soirées très spéciales.
 
Direction du coup, non pas Mykonos, mais Athènes, et rassurons-nous : en métropole ou à la plage, l’ambiance est au summer sex dans tous les cas. Parce que Raffermissements érotiques (1974) - le flick qu’on a fini par voir - conte l’aventure d’une jeune femme aussi bien rangée dans son mariage bourgeois qu’elle est malheureuse sous la couette. Et pour combler ce manque de trépidations charnelles, elle s’abandonne au gré de rêveries fantasmagoriques au fil de son quotidien. Alors plutôt sympa au début - nous avons d’ailleurs la chance de le voir dans une copie fuchsia magnifique - mais au bout de la septième rêverie fantasmagorique, ça frôle l’indigestion binoculaire. Surtout qu’elles sont toutes pareilles, qu’on les voit venir à trois kilomètres et qu’elles sont toutes agrémentées de la même ritournelle - que j’ai fini par vomir par les oreilles. Ce pastiche de Belle de Jour (1967), à la substance tout à fait misogyne, aura par ailleurs le tort de dégarnir l’assemblée de ses dernières adeptes féminines. Définitivement pour les complétistes !
 
Andrieux OFF 26
Source : Raffermissements érotiques (Efstratiadis, 1974)
 
23h48 - Entracte mérité et arrosé - le Offscreen paye sa tournée - d’un verre de ouzo, forcément. Comme d’hab, les mêmes afficionados - on se fait des clins d’oeil entre les séances maintenant - se ruent sur le guide suprême pour quêter quelques extra pincées de sel. Lui-même se rend à l’évidence, décrivant Raffermissements érotiques comme «un des films érotiques les plus débandants de l’histoire» - c’est pour dire. Jacques Spohr nous explique tout de même qu’il a l’intérêt de décrire une bourgeoisie grecque décrépie au milieu des années 70, son incapacité à gérer le poids de la tradition, à inventer un modèle nouveau après la dictature. L’ «enquêteur maniaque» ironise aussi qu’après autant de plage et de soleil dans le cycle, c’était pas mal d’avoir un peu de grisaille et de ville - ouais bon ça, à Bruxelles on était déjà servi. Allez, cul sec de ouzo et c’est reparti.
 
00h13 - « Les irréductibles sont là pour les choses sérieuses » - yepaaa ! Choses très sérieuses même, car auréolées du légendaire patronyme Supersex Pornomania (1976) en version italienne et qui compte dans son casting le Chuck Norris grec : le beau gosse Lakis Komninos. Mais c’est tout pour les attributs sourisibles du film. Car si le rédac chef de l’Insatiable annonce une esthétique cheesy - «mais si vous êtes là, vous avez déjà vu pire» -, il met quand même un coup clim, nous préparant à un polar noir, sardonique, à un rape & revenge - genre rare semble-t-il dans l’exploitation hellenophile. Après la junte militaire, Andreas Katsimitsoulias livre à son tour un portrait déliquescent de ses congénères, entre perversité morbide et revanche sans panache. Le synopsis ? Des bourgeois s’ennuient bourgeoisement en vacances et décident, pour passer le temps, de kidnapper la fille d’un couple de campeurs qui séjournent sur le terrain voisin.
 
Andrieux OFF 27
Source : Lust for Revenge (Katsimitsoulias, 1976)
 
Je vous la donne en mille : les adeptes du chino rose et du pull sur les épaules ont le tort de kidnapper la fille de Grec Norris, et nous voilà partis pour un jeu de massacre méticuleux, étouffant, et - carrément - à vomir. « Tu t’attendais à quoi François ? » vous pourriez me dire, « c’est pas ça le principe d’un rape & revenge ? ». Certes, mais que les fanatiques de Thriller (1973), Mrs. 45 (1981) ou I Spit on your Grave (1978) s’enhardissent tout de même. Car Lust for Revenge - en version anglo - a ce petit soupçon de cruauté supplémentaire - oui, il faut croire que c’était possible. Rapport au fait, peut-être, que c’est le viol d’un enfant qui est vengé. Rapport aussi qu’il n’y a aucun paroxysme cathartique à trouver dans ces dominos qui tombent à la file : rien d’autre qu’un homme, amer, désespéré, que plus rien ne rattache à la vie et qui tue parce qu’il sait tuer. Je ne suis pas né de la dernière pluie, mais ce film - je vous l’avoue - je préférerais l’oublier. Nous n’étions qu’une poignée quand le générique a rendu son verdict et nous sommes sortis en silence, affrontant la sentence d’une nuit sans lune et d’un sommeil sans étoile. Je ne sais pas, alors, que le pire est encore à prévoir …
 
SAMEDI 22 MARS
 
21h30 - Mes valises sont prêtes, les cartes postales envoyées, et les sous-pulls sortis une dernière fois de la machine à laver : ultime soirée dans la cité bruxelloise. Le Offscreen, lui, continuera sa parade une semaine supplémentaire, dispersant d’autres moments d’extase : la projection notamment du brûlant Suntan (2016), du mystique Penda’s Fen (1974) ou encore la rétrospective consacrée à la légende locale Picha. Mais voilà, toutes les bonnes choses ont une fin, et se faire la malle sur Island of Death (1976), c’est quand même la classe.
 
Andrieux OFF 28
Source : Island of Death (Mastorakis, 1976)
 
Jacques Spohr signe également son baroud d’honneur introduisant le onzième - !!! - film de sa programmation pandoriennne. Après un nouveau speech interminablement flamand, Vanessa Morgan lui tend le micro et, fidèle à glose encyclopédique, il nous fait le portrait du réalisateur Nico Mastorakis : personnage controversé, « type plein de ressources », « sorte de variation de Thierry Ardisson ». Celui qui importera au pays courant des 90s tous les concepts de « trash télévision » s’était forgé sa réputation au prix de frasques radiophoniques, en faisant jouer pour la première fois les Rolling Stones à Athènes ou en étant un intime du milliardaire Onassis. Plutôt businessman pragmatique que cinéphile idéaliste, il voit dans les ras-de-marée que sont Orange Mécanique (1971) ou Massacre à la Tronçonneuse (1974) l’occasion de se faire un gros paquet de fric et hop, v'là ti pas que notre Titi local se lance dans la production d’un film démesurément violent : Island of Death. Jacques Spohr conclut son discours en précisant que Mastorakis n’est pas dans la provoc pure, qu’il reste intelligent, qu’il est une voix écoutée en Grèce - prends ça Union Européenne !
 
Andrieux OFF 29
Source : Island of Death (Mastorakis, 1976)
 
Pour vous donner une idée, à peine 5 minutes sont écoulées qu’une chèvre se fait déjà violer - allez, ça c’est fait. Suivent d’autres plaisirs gratinés, pêle-mêle non-exhaustif : une crucifixion, une pendaison depuis un hélicoptère, du racisme, de l’homophobie, de l’inceste, ou un coup de fil à maman en pleine partie de jambe en l’air - ralala on savait se faire plaisir dans les années 70. Le Nico Mastorakis coche toutes les cases du scandale avec tant de méthode et d’allégresse qu’il donne à son bébé dégénéré les allures d’un mondo, et qu’il pourrait - rien que pour ça - convaincre les amateurs de sensations extrêmes de plisser les paupières. Mais Island of Death est bien plus que ça : il est admirablement bien écrit, incisif, aiguisé. Son réalisateur n’a pas simplement copié la frénésie de Massacre ou d’Orange : il l’a comprise, en a retenu les enseignements, les perspectives d’une société occidentale en crise. Certains choix de mise en scène - l’usage de photographies notamment - sont d’ailleurs aussi percutants que les immondices qu’ils subliment. Alors voilà, quitte à passer pour un gros taré en soirée, Island of Death est devenu un de mes films préférés. Tremblez sapins de Noël : vos pieds seront crottés !
 
DIMANCHE 23 MARS
 
10h18 - Voilà c’est fini Jean-Louis ! Je composte mon billet pour rentrer à Paris, le coeur gros de toutes ces aventures vécues et encore plus gros de celles que je n’ai pas eu le temps de vivre. Un immense merci à Dirk Van Extergem, à Vanessa Morgan, à Alexandrine Lirola, à toute l’équipe du festival et à tous les bénévoles de nous avoir fait vivre cette frénésie magistrale. Comble de l’ironie, mon Eurostar s’éloigne de Bruxelles dans une tempête de rayons de soleil : comme quoi le printemps est affaire de patience et qu’en attendant, le cinéma c’est de la vitamine qui d-boite. À l’année prochaine le Offscreen ! <3
 

(1) La salle a d’ailleurs connu une histoire récente incroyable car sauvée des eaux en 2023 grâce à une mobilisation collective. Plus d’infos à retrouver ici : https://coopcity.be/cooperative-story-cinema-nova/
 
(2) Je ne trouve pas d’information en ligne mais le fanzine La Brucellose - Revue des Urinoirs et Lieux d’aisance bruxellois existe bel et bien : à dénicher dans tous les WC de qualité !
 
(3) La BFI en a même sorti une compilation sur Blu-ray : The Best of COI: Five Decades of Public Information Films (2020).
 
(4) Ben Wheatley a adapté le classique hitchcockien en 2021.
 
(5) Le repaire du vers blanc est une adaptation du roman éponyme de Bram Stoker publié pour la première fois en 1911.
 
(6) Info pratique : la Belgique bénéficie d’une équivalence à notre statut d’intermittence national, mais au lieu de le cantonner aux seuls arts vivants, elle l’étend à toutes les disciplines artistiques !
 
(7) Je pense notamment au controversé mais néanmoins nécessaire ouvrage Sorcière de Mona Chollet, publié pour la première fois en 2018.
 
(8) Pour aller jeter une oreille : https://www.discogs.com/fr/release/4968773-Various-TSOB-The-Sound-Of-Belgium?srsltid=AfmBOoqXxgjVGxk-JobIXu9BPHSbBiVnn3Wq6NVRizoOfuXX_-qTw-BO
 
(9) Ce fanzine consacré au cinéma d’exploitation grec est à retrouver à la boutique Hors-circuits !
 
(10) Pour retrouver cette programmation du LUFF : https://2023.luff.ch/fr/film/frivolites-helleniques-ou-la-petite-histoire-du-cinema-d-exploitation-grec
 

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Circuits Courts: la rubrique de Nicolas Andrieux #1 Aldo Lado & rencontre avec l'éditeur Frenezy
 
Circuits Courts: la rubrique de Nicolas Andrieux #2 Rencontre avec Christian Valor et Marilyn Jess
 
Circuits Courts: la rubrique de Nicolas Andrieux #3 rencontre avec Laurent Courau
 
Circuits Courts: la rubrique de Nicolas Andrieux #4 Rencontre avec Sixtine Audebert
 
Circuits Intégrés: Nicolas Andrieux 10 jours à l’Etrange festival 2024
 
Circuits Intégrés: Nicolas Andrieux Fin de semaine au LUFF 2024
 
Circuits Intégrés: Nicolas Andrieux Récits de l'Offscreen Film Festival 2025

 
 
 
 
 

 

 
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